Bernard Lambeau

February 26, 2025

Effondrement, Robustesse, Renaissance, et Equilibre des risques

C'est évidemment un gigantesque biais de perception, mais mon actualité professionnelle et l'actualité politique se ressemblent en tout point.

Enspirit, quelque part, s'effondre.
Les Etats-Unis et l'"ordre mondial" (si tant est que cela ait jamais existé) aussi.
Le système belge n'est pas en reste (on verra).

Une lecture (probablement trop récente) du travail d'Olivier Hamant sur la robustesse m'amène à déceler dans ces histoires un ingrédient similaire.

Un système devient déséquilibré ou dispendieux aux yeux des dirigeants, à tort ou à raison. Quoi qu'il en soit, c'est leur perception. Et c'est de cette perception - peut-être avec un manque criant d'intelligence collective pour la cadrer correctement -  que naissent les décisions - peut-être avec un manque criant de science pour les éclairer correctement.

La réponse ne se fait pas attendre : des actions sont prises, là pour rééquilibrer, là pour limiter les coûts. Au premier ordre, cela paraît sensé. Au second ordre, cela accélère l'effondrement du système.

La raison, si l'on en croit Hamant, est relativement simple. En effet, c'est la tolérance du système au déséquilibre, à l'inefficacité, aux dépenses éxagérées qui contrebalance son objectif principal, c'est-à-dire dans le système actuel, la volonté de performance et de croissance énonomique. Flinguer ces contre-pouvoirs c'est ne plus autoriser le système à osciller calmement. Et un système qui n'oscille plus calmement s'effondre inexorablement à court terme (plus ou moins rapidement).

Watch the USA. Il n'y a aucun scénario systémique dans lequel le travail d'Elon Musk ne va pas se venger au centuple en interne. Les Etats-Unis sont un laboratoire systémique, et ils ont choisi d'expérimenter l'effondrement. Super intéressant, au delà du drame.

Minute papillon.

Car quand on dézoome, un système c'est très très robuste. En parallèle des oscillations courtes, il y a les oscillations longues. Un système ne disparait jamais, il se transforme perpétuellement, avec des crash divers et variés. Il y a donc un après-crash.

C'est difficile d'être devin, quelle que soit l'échelle.
Aussi, comparer Enspirit, le système belge, et les Etats-Unis, est d'abord et avant tout risible.
Comment mieux comparer des pommes et des poires, hein ?

Cela dit, puisqu'un blog post n'a aucune vocation scientifique, je m'autorise à brainstormer.

J'ai toujours trouvé qu'il y avait d'immenses similarités entre les choses petites et grandes :

  • Je n'ai par exemple jamais compris comment on peut payer quelqu'un en noir l'après-midi, et crier "tous des salauds" le soir devant le JT.
  • De la même façon, tout porte à croire que les chambres de décision se ressemblent en fait un peu partout: il y a plus de similitudes qu'on n'aimerait le croire entre une session de brainstorming dans une startup où la décision est prise au doigt mouillé par le dirigeant suivant son ressenti, le conseil communal où quelques petits dictateurs se battent pour que leur doigt soit le plus mouillé de l'auditoire, et le bureau ovale où je n'ose imaginer sur quelles bases biaisées sont ainsi prises les décisions.

On peut bien sûr devenir sérieux dans l'analyse et les comparaisons - certains systèmes sont évidemment plus robustes que d'autres, certainement la démocratie quand on ne flingue pas ses contre-pouvoirs - mais ce n'est pas mon objet ici.

Car mon objet c'est finalement de m'autoriser à pousser la comparaison trop loin. Si les décisions partent du ressenti des dirigeants bien plus que de l'intelligence collective et de la science, et même si les dirigeants sont des dictateurs en puissance devenus probablement fous par grandeur déplacée, il reste que leur ressenti dit quelques chose du système. Et que l'ignorer purement et simplement, aller contre dans une bataille idélogique déclarée nécessaire, ou les suivre aveuglément sans investir personnellement dans l'intelligence collective ou la science, c'est accélérer l'effondrement aussi.

Rien de grave pour le systémicien : après l'effondrement systémique, la renaissance par transformation.

Mais je m'autorise une prédiction : à toutes les échelles, la renaissance naîtra d'une bien meilleure réflexion sur l'équilibre des risques ET leur perception effective. Le chômeur, le freelance, le petit entrepreneur, l'employé.e, le fonctionnaire, le politique et le super-riche ont en commun de ne pas vouloir perdre. Au sérieux idéologique "oui mais le super-riche ne perd pas tant que cela" il faudra ajouter un sérieux sociologique "ok, mais son ressenti l'amène à prendre une tronçonneuse, que cela te plaise ou pas".

Entre cette observation et "Allons donc tous nous faire soigner", il n'y a qu'un pas, que je m'autorise à franchir allègrement, tant tout cela est guidé par des peurs. Certains plus que d'autres, bien sûr. Les tarrés de première ne sont pas difficile à trouver. Pour les autres, je serais plus nuancé, tant il est devenu compliqué de distinguer l'idéologie un peu stupide de la clairvoyance auto-proclamée.

P.S. Si par hasard ou intérêt un client d'Enspirit venait à passer par là, Louis m'invite à vous rassurer. Enspirit ne s'effondre pas, mais j'y ai entamé une transformation profonde : on sort d'un système dans lequel trop de choses reposaient sur mes épaules - dont la prospection, les finances, et le cash flow - avec un risque avéré de me transformer en dirigeant autocrate et qui cherche désespérément son retour sur investissement en échange de ses 80h/semaine. Comme Enspirit est un collectif de freelances, cela ne me semblait plus une approche adéquate. Nous sommes donc en transformation pour éviter l'effondrement autocratique, en vrai. Mais comme toute transformation, elle n'est pas évidente. Vos systèmes restent entre de bonnes mains techniques, et rien n'indique un exode soudain des forces vives face aux premières décisions.