
Quand j’étais jeune ado, de mémoire 14 ans, une dame a sonné à la porte de la maison familiale alors que j’étais seul. D’un milieu défavorisé, elle a prétexté connaître maman qui lui prêtait un peu d’argent de temps en temps. Trouvant cela fort plausible, par ailleurs naïf et cherchant à être quelqu’un de bien, je me suis laissé convaincre d’aller à la banque (je n’avais pas d’argent sur moi) et j’ai vidé une partie substantielle de mon compte épargne.
Maman a trouvé cela très grave et a fait intervenir l’enveloppe familiale pour me rembourser. Ma mémoire ne me permet pas de dire si cet argent m’aurait autrement manqué, mais je me rappelle pertinemment m’être demandé si cette intervention de maman était vraiment nécessaire... Au final, c’était ma « faute »: j’avais voulu faire quelque chose de bien, et surtout je n’avais pas su dire non.
Un peu plus tard, en festival l’été ou dans les rues piétonnes de l’université, alpagué par La Croix Rouge, Médecins du Monde, Amnesty, et j’en passe... j’ai systématiquement rempli les papiers pour de petits dons mensuels, dont je pense que tous existent encore aujourd’hui. Mes trajets en transport en commun m'autorisaient aussi une aumône toute petite, mais quasi quotidienne. Je pense pouvoir dire aisément que cet argent ne m’a jamais manqué. Quand les ONG précitées me téléphonent annuellement (?) pour augmenter mes dons, j’y vois quelque chose de bien ; surtout je ne sais toujours pas dire non.
Loin d’être en fait dans ma vraie nature, je dois reconnaître que ma générosité s’est ensuite tarie. Il m’est encore arrivé de donner, parfois des montants importants, mais je n’ai jamais trouvé cela aussi facile qu'avant. Installé confortablement, je rencontre moins aujourd'hui ces interlocuteurs à qui ne pas savoir dire non. Le don qu'on fait tout seul est d'un tout autre ordre, à commencer par le choix du montant... J’ai aussi avancé dans ma compréhension des enjeux politiques et sociétaux et me suis parfois trouvé coincé face à la polémique du don qui entretiendrait la déliquescence de l’Etat (p.ex. Viva for Live).
Pour y voir plus clair j’ai souvent cherché à discuter salaire, dons et argent avec mes proches, mes amis, mes collègues. Pas parce que j’aime parler d’argent en soi mais parce que j’ai à coeur de mieux comprendre où me situer, et inviter les autres à faire de même. A l’échelle planétaire, nous sommes dans les gens plus qu’aisés. A l’échelle de la Belgique c’est étrangement plus difficile à dire. Middle class, right. Sans pouvoir facilement tirer une info claire de ce sujet souvent tabou, je reste avec cette impression que la vaste majorité d’entre nous se sent plus pauvre qu’elle n’est... A raison peut-être, peut-être pas. Ca ne me dit rien de nos dons, en vrai.
Devenir chef d’entreprise n’a pas changé mon rapport à l’argent mais a continué à libérer ma parole à son propos. L'argent y est un sujet, et pas des moindres. Employés, freelances, clients et investisseurs négocient. Le besoin de trésorerie tout comme les résultats (bons ou mauvais) impactent le salaire du patron de la petite entreprise, et très certainement celui du startuper. Mon rapport, je disais, n'a pas tellement changé: je cherche à prendre les décisions en fonction de ce qui me semble juste ; surtout je ne sais toujours pas vraiment dire non... Mon contexte a changé: mes interlocuteurs, pour la plupart, ne sont pas dans le besoin.
De ce chemin jusqu'ici j'ai retenu deux ou trois choses:
1. Le montant facile à donner (ce qui ne dit rien du "bon" ou du "juste") est celui dont on ne peut dire qu'il va vraiment nous manquer. L'installer structurellement (p.ex. un don mensuel prélevé à la source) rend la chose bien aisée. Les ONG l'ont bien compris, Netflix et tous les autres aussi...
2. S'il est des gens de nature tellement généreuse qu'ils chercheront activement à qui donner, pour la grande majorité il n'est pas de don sans demandeur. Etre demandeur pour les autres nous expose, mais ne demande que quelques minutes de courage.
3. Je conviens que partager tant son salaire que ses dons ne peut en aucun cas être une obligation. Comme j'aspire à une société plus transparente et un monde bien plus juste, j'invite à libérer la parole néanmoins.
Vous n'êtes pas sans savoir que la Belgique a été récemment touchée par des inondations catastrophiques et que la Croix-Rouge (entre autres) fait un appel aux dons (https://je-donne.croix-rouge.be/88/~mon-don).
Delhaize a annoncé avoir donné 1.000.000€ ; c'est 0,1% de son bénéfice net l'an passé.
Enspirit a donné 10% de son bénéfice net, un montant qui ne mettra ni moi-même, ni la structure en danger.
Sans obligation, mais une demande et/ou un exercice de transparence et/ou pour m'aider à y voir clair: et toi, tu as versé combien?