Bernard Lambeau

August 31, 2023

Les 7 péchés capitaux du TEC à la demande en zone Gembloux-Basse Sambre

J'étais présent hier à la réunion de présentation du TEC à la demande qui a eu lieu à Sombreffe.

Je souhaitais coucher mes impressions et mon analyse personnelle par écrit. Le retour peut sembler sévère, voire agressif, et j'avoue ne pas être tendre...

De par ma formation et mon métier, je sais extrêmement bien combien les projets d'envergure sont difficiles à construire et mettre en place dans le calme et sans grands accrocs. Je suis aussi plutôt fan du transport à la demande, et plutôt dubitatif face à l'espoir démesuré dans le transfert modal et l'intermodalité (pour des raisons que j'expliquerai une autre fois), certainement en milieu rural.

J'espère dès lors que le texte ci-dessous sera en pratique utilisé et/ou critiqué pour faire avancer la mobilité et ajuster les idées et leur operationalisation, plus que pour nourrir le camp contre camp. Je suis personnellement disponible, comme citoyen et comme professionnel, pour faire avancer ces projets.

1. Mauvais timing & mauvais problème => mauvaise offre

En plein redéploiement TEC dans la zone, qui remplace certaines lignes locales pour des lignes Express, l'offre "à la demande" est présentée (et ressentie) comme devant pallier la perte de mobilité locale engendrée, dont le transport scolaire.

Que nenni ! L'offre "à la demande" ressemble plus à une offre de complément que de remplacement. En vrai, on ne sait pas trop bien, tant on a du mal à comprendre le public visé:

* pas les très jeunes: il ne sont pas admis sans accompagnateur
* pas les travailleurs qui se lèvent très tôt: le service débute trop tard
* pas ceux qui rentrent très tard: le service termine trop tôt
* pas les écoliers lésés par la suppression de leurs lignes: bien trop nombreux
* pas même les personnes âgées: la sacro-sainte intermodalité (qu'étrangement le TEC à la demande + redéploiement leur impose plus que feu les lignes de bus plus classiques) ne leur est que peu adaptée

A lignes inchangées, le TEC à la demande aurait pu trouver son public calmement. Egalement en faisant un choix stratégique clair de public visé. Mais en s'adressant sans stratégie apparente à un public largement impacté par le redéploiement, à qui il offre peu de solution de remplacement, il ressemble à une erreur de calendrier magistrale. #fail.

2. Biais du survivant dans la collecte des données

Pour faire une bonne offre, il faut bien connaître la demande. A l'heure du big data, on collecte donc des données. Pour les utiliser correctement, encore faut-il bien savoir ce qu'elles représentent...

Dans le cadre du TEC à la demande, il y a un comme hic: il est à peu près impossible de faire une demande de trajet en dehors des grilles horaires et géographiques pré-pensées. S'il n'y a pas de bus à 11h50 pour partir de chez vous, le système vous empêche d'encoder votre demande.

Faire cela s'appelle le biais du survivant: durant la seconde guerre, l'armée américaine basait son analyse de protection des avions contre les tirs sur base des impacts visibles sur ceux qui revenaient, sans tenir compte de ceux qui ne revenaient jamais...

Quand le service TEC à la demande sera supprimé "parce qu'il n'y avait pas assez de demande", il faudra bien sûr entendre "parce qu'il il n'y avait pas assez d'offre" (merci on le savait déjà). Les données collectées représentent l'offre, pas la demande. Mais les décisions de mobilité à la demande des 30 prochaines années seront probablement prises sur cette base. #fail.

3. Zone trop fermée, zone mal dessinée

Le TEC à la demande est présenté sur la zone Gembloux - Mazy - Sombreffe. Ce qui laisse à penser qu'on peut l'utiliser sur ces communes. Oui et non, pas l'entièreté des communes. Alors que l'application mobile demande en tout premier "D'où voulez-vous partir ?", vous encodez votre rue à Sombreffe et boum: "Hors zone". Impossible d'encoder la demande (biais du survivant, voir point 2) sauf à choisir vous-même un arrêt au sein de la zone (sans trop savoir où et au prix d'un plus grand effort).

Vu le calendrier (voir point 1) on pourrait penser que le TEC à la demande est présent dans l'ensemble des villages impactés par le redéploiement ? Pas non plus. Corroy le Château se voit largement amputé de lignes de bus classiques mais le TEC à la demande n'y est pas déployé. Hors zone, pas d'encodage (biais du survivant), sauf à aller chercher son point soi-même sur la nationale pas si proche (sans trop savoir où et au prix d'un plus grand effort).

Un trajet est *toujours de porte à porte* dans les faits. Qu'un service de transport à la demande ne fasse pas de porte à porte, soit (certains le font). Mais,
  1. L'intermodalité demande de facto un effort plus grand (pieds, vélo, trotinette) que le porte-à-porte de la voiture individuelle.
  2. L'intermodalité à l'heure de la suppression des lignes de bus locales augmente encore cet effort.
  3. Offrir une application de "Mobility as a Service" dans une zone virtuelle trop fermée et sans planificateur de voyage, augmente encore cet effort.

Triple peine. #fail

4. La fréquence (virtuelle), c'est bien, mais c'est pas l'tout

Lors de la présentation du TEC à la demande, l'avez-vous entendu comme moi ? Le système permet une fréquence (dite "virtuelle") jusqu'à dix fois supérieure aux lignes classiques. Avec un (parfois deux) minivans.

Sur papier ça tient la route: en une heure il est par exemple possible de faire 3 fois l'aller-retour entre la gare de Gembloux et Mazy, ce que les lignes classiques ne font pas et ne feront jamais.

Ce que les lignes classiques faisaient, en revanche, c'est qu'un trajet entre Gembloux et Mazy (144a supprimé), ne se faisait pas au détriment d'un trajet au même moment entre Tongrinne et Gembloux (347a supprimé).

Je ne suis pas fan des calculs de coin de table, donc je passe, mais je sais que en théorie des files (queuing theory) le temps d'attente pour servir une personne dépend largement du volume ET du nombre d'opérateurs. 

Remplacer plusieurs (trop) gros bus qui évoluent en parallèle par un seul (petit) minivan, à priori ça choque largement l'intuition sauf s'il n'y a aucune "demande" (voir points 2 & 3). #fail

5. Itérations longues dans un projet innovant

Le transport à la demande c'est très en vogue, mais c'est surtout très nouveau (digitalisé et à l'échelle), certainement en milieu rural. Et donc très incertain.

Cela fait maintenant plus de 20 ans que les projets numériques (très innovants et très incertains) ont été étudiés. La théorie est assez simple: comme il est extrêmement rare d'avoir des stratèges qui pensent à tout en amont (ici, on est très clairement dans le cas), il faut oser le réel (en aval) mais ajuster très rapidement et très souvent.

C'est le "move fast and break things" de Zuckerberg (quand il est bien compris): puisqu'il y aura inévitablement des "bugs" et autres hypothèses foireuses, itérer rapidement permet de minimiser l'impact cumulé. "Cumulé" car cet impact ne dépend pas uniquement de la gravité du bug mais aussi de son temps d'exposition aux utilisateurs. Qu'une zone ou un horaire soit mal pensé, ma foi, rien de bien grave... si c'est pour quelques jours...

Les annonces officielles du TEC, elles, parlent d'ajustements dans seulement 18 mois. Le TEC n'a par ailleurs par réellement la main sur son logiciel, il n'est pas développé en Belgique ni même en Europe. #fail.

6. Structure hiérarchique dans un projet innovant

L'autre élément des projets innovants c'est la structure décisionnelle et opérationnelle choisie. Pour itérer rapidement, il faut garantir qu'un ajustement nécessaire puisse être mis en place facilement. D'où deux questions importantes:

  • Qui sait ce qui est nécessaire?
  • Qui a le pouvoir du changement?

Pour la première, rendez-vous au point 7 ci-dessous.

Pour la seconde, l'équipe opérationnelle du TEC à la demande a clairement indiqué avoir les mains liées par l'AOT (Autorité Organisatrice du Transport), elle-même fortement dépendante des décisions de la Région Wallonne, et ce, tant pour des ajustements d'horaire (voir point 1), que de zone (voir point 3), que du nombre de minivans (voir point 4) ou encore méthodologiques (voir points 2 et 5).

S'il faut un arrêté ministériel pour chaque changement mineur, le service aura fermé par "manque de demande" (ah non, pardon, d'offre) avant d'avoir fait une itération. #fail.

7. La résistance au changement à bon dos

C'est l'une des meilleurs interventions lors de la réunion de présentation d'hier soir du TEC à la demande à Sombreffe.

Une participante indiquait qu'elle était peu ouverte à écouter la présentation tant le messager (et derrière lui, l'AOT, le TEC et la Région Wallonne) présupposait que la "résistance au changement" expliquait les levées de bouclier et l'opposition citoyenne et communale au redéploiement du TEC.

Ne confondez pas résistance au changement et lucidité. Nous connaissons nos villages.

Punch line.

On ne peut qu'inviter l'AOT, le TEC, et nos décideurs politiques, à réellement écouter les utilisateurs et citoyens. Eux aussi, "savent". #fail.