Lomig

August 31, 2022

Éloge d'un oncle

Date originale : 28 septembre 2017

Aujourd'hui j'ai enterré mon oncle Pierre. Aujourd'hui, plutôt qu'écrire et faire le malin, il m'a fallu écrire et assumer mes mots. Aujourd'hui, devant des centaines de personnes, j'ai lu une oraison funèbre d'une personne qui ne sera plus jamais là, la gorge nouée.

Voici le texte écrit quand on m'a annoncé quelques heures avant que personne, pas même ses enfants, ne voulait prononcer quelques mots pour lui.
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À ma dernière visite en Bretagne, en coup de vent comme d'habitude, il y a deux mois, j'ai promis à ma mère et à ma tante Chantal que j'irai voir Pierre à ma prochaine venue. Aujourd'hui, je respecte ma promesse, mais pas comme je l'aurais souhaité. Aujourd'hui, je t'ai vu Pierre, pour la dernière fois ; mais en échange, pour amoindrir ma faute, je vais m'attacher à ce que pour quelques minutes, cette assemblée te voit comme moi je te vois ! 

Les hommes s'habillent des cicatrices de leur passé, et Pierre était tellement couturé qu'il est facile d'oublier l'homme qu'il était en dessous. Et oui, ses stigmates étaient peu jolis à voir, oui Pierre n'était pas facile à aimer, oui Pierre n’était pas facile à vivre. Pas pour tout le monde. 

 

La première image que j'ai de mon oncle Pierre, c'est lui jouant avec son fils Éric dans son parc dans le salon du duplex qu'ils habitaient à l'époque, un large sourire aux lèvres. 

La dernière image que j'ai de mon oncle Pierre, c'est lui sur son lit hospitalier, ma propre nièce à ses côtés, la joie éclairant son visage édenté, tuméfié autant par la maladie que par le médicament, un large sourire aux lèvres. 

Entre les deux, toutes les images de Pierre ne sont pas si brillantes, loin s'en faut, mais je ne veux pas me rappeler aujourd'hui de quelques années sombres à la ferme. La ferme qui l’a détruit. Je ne veux pas que ses enfants ne se rappellent que quelques années sombres à la ferme. Ce n'est juste ni pour eux, ni pour lui.

 

Pierre entouré d'enfants qu’il adorait : caché sous son côté bourru qui m'effrayait parfois petit, c'est la partie de lui qu'on oubliait bien volontiers. Pierre, il criait violemment, mais Pierre, il me donnait des bonbons en cachette et souriait de nos bêtises d'enfants. Pierre, il vitupérait, parfois il le cachait, mais Pierre, il aimait « ses mômes ». Pierre, il n'aimait personne :  raciste, homophobe — mais Pierre, il a été le premier membre de la famille à accueillir mon compagnon à bras ouverts comme s'il était son neveu, demandant de ses nouvelles à chaque occasion. Pierre, c'était un ours, mais Pierre il était toujours là pour rendre service, il aurait donné un rein pour sauver son frère. Et croyez moi, ce n'est pas qu'une image, on a failli lui demander à l'époque ! 

Pierre, c'est l'oncle qui divertissait et gâtait sa nièce — ma cousine qui aurait aimé être là pour lui rendre un dernier hommage autant que Pierre l'aurait aimé, sans doute — et qui à chaque permission la trimbalait,  « sa » gamine. Lui, le beau légionnaire, elle, l’enfant espiègle et rebelle, il s'attachait à lui faire oublier son quotidien difficile et en éprouvait une grande fierté. 

 

La fierté ! C'est aussi cela Pierre. Fierté d'avoir servi son pays, fierté d'avoir pu aider ses camarades sur le champ de bataille, fierté d'avoir vaincu ses démons comme l'alcool, fierté de regarder le cancer en face pendant 15 ans et de lui hurler au visage, dans la délicatesse grammaticale qui le caractérisait : NON. VA TE FAIRE FOUTRE. PAS MAINTENANT. 

Pierre, l'enfant sage défendu sur les bancs de l'école par son frère mon père, oh, il a bien grandi ! Pierre, c'était le combattant du feu chez les pompiers de Paris, Pierre c'était le combattant de la Légion Étrangère, Pierre c'était le combattant de la maladie.

Il s'est battu, encore et toujours, sans qu'on le comprenne par moment ; pour les enfants de sa fratrie, pour les enfants de sa patrie, pour ses enfants, pour les enfants de ses neveux. 

 

La dernière image que j'ai de mon oncle Pierre, c'est lui sur son lit hospitalier, ma propre nièce à ses côtés, la joie éclairant leurs visages, un large sourire aux lèvres. 

Je m'appelle Lomig Pierre E#### ; je me nomme du nom du fier combattant que j'honore aujourd'hui, et je porte témoignage : son sourire ravi et ingénu quand il regardait la nouvelle génération de petits E####, c'est cette dernière image que j'aimerais que, comme moi, comme eux, vous tous assemblés dans cette église emportiez au delà de ce porche en sortant.