Lomig

September 6, 2022

Football, mon amour

Date de publication originale : 24 juillet 2018
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« Es-tu fier d'être Français, me demande un jour ce goujat, es-tu seulement fier d'être Français ?
 — Mais surement...
 — Comment ça surement ? On est fier ou on n'est pas fier, que veut dire “surement” ? »

 

C'est compliqué, une coupe du monde de football. Rester à l'écart de la liesse générale, c'est rester à l'écart de l'humanité. C'est incompréhensible, c'est violent, et ça rencontre des réactions épidermiques. Des accusations pleuvent : le mépris de classe, le cynisme, la réjouissance de se complaire dans la négativité...

Alors que le foot, ce serait la célébration de la joie, ce serait le bonheur, ce serait le souvenir des moments heureux et ce serait, dans la victoire, la communion de la France métissée : la France de Zidane, qu'on appelait ça, il y a vingt ans.
Vingt années qui sonnent comme hier.

 

Vous vous attendez au pamphlet politique de ma part ? Circences panemque, l'utilisation politique de l'événement ?

Détrompez-vous, mais je peux expédier cette partie vite-fait : c'est le cas, bien évidemment qu'il y a une utilisation politique des événements sportifs, et les Français sont des veaux qui tombent dedans. Non, pas tous. Non, pas tous les amateurs de foot non plus — il y en a des très bien. Mais sachez que le « pas tous », c'est une arme du nihilisme de la pensée. Pas tous les Français ont collaboré, c'est vrai, mais assez pour envoyer des concitoyens innocents à l'abattoir. Pas tous les Français ont voté Macron, mais il est quand même au pouvoir. Vos « pas tous » ne servent à rien, qu'à vous draper vous ou vos proches dans le voile de la fausse impunité égoïste.


Je pourrais parler aussi de la corruption de la FIFA, de la triche (du refus de l'arbitrage vidéo associé), de l'argent des joueurs et du star-système, mais c'est facile.

Je pourrais vous expliquer que je trouve les règles mal construites (vive le hors jeu), le terrain trop grand par rapport au nombre de joueurs, le temps de jeu trop long, bref, tout ce qui fait que le rugby est un jeu infiniment supérieur dans sa construction même. Je pourrais.

Mais non, je vais plutôt parler du pourquoi intrinsèquement et de toutes les fibres de mon être, je ne me mêle pas — ni ne me mêlerai jamais — de votre communion d'avec le sport des sports, quand bien même il ne serait pas la source d'hystérie collective qu'il est assurément.
 


Je n'ai rien contre ceux qui ont la chance de pouvoir apprécier le ballon rond et en retirer de la joie qu'ils ont le droit de ressentir ; je demande juste à ne pas être considéré comme un extra-terrestre car le sentiment m'est étranger, comme je demande à ne pas devoir justifier que je ne goutterai pas votre flute de champagne, même pour la nouvelle année, et que non, je ne vous manque pas de respect dans mon refus.
Et dans les deux cas, le sport comme l'alcool, je me permets de juger ceux qui tombent tout de même dans l'ivresse, et je ne m'en sens pas coupable.

 

Aahhh, le football. Un moment de convivialité, autant en cours d'E.P.S. que de manière improvisée, dans une cours d'école ou sur une plage, équipé d'un vieux ballon et de délimitations virtuelles symbolisant les cages, la joie et l'insouciance d'une enfance au gout de madeleine !

Enfin, ça, c'est vous vous rappelant du football. Pour moi, le football, c'est au mieux le banc de touche pendant des heures sans avoir le droit d'avoir un livre ni une conversation avec un humain ayant une culture supérieure à celle de la loutre, au pire l'humiliation permanente (sous l'œil approbateur du professeur-loutre) d'être choisi en dernier, « même après les filles ». « Bah, on le met dans les buts, et on s'arrange pour pas que les adversaires s'en approchent ». Le football, c'était une nouvelle occasion d'être un « le », une chose, un fardeau.
Incapables de comprendre que si j'en avais eu la possibilité, moi non plus je n'aurais pas choisi de jouer dans cette équipe qui aura eu le malheur de devoir me sélectionner, ni dans aucune autre d'ailleurs.

Le football, c'est la ronde des enfants devant mon nez ensanglanté et mes lunettes tordues qui moquent la chochotte perdant son sang par décilitres. D'ailleurs, au football, il n'y a que deux catégories de personnes : ceux qui sont des hommes, et ceux qui jouent comme des tarlouzes.

Le football, c'est ces vestiaires cruels où tour à tour, je suis brutalisé ou raillé et dans lesquels j'ai appris à ne jamais baisser ma garde mais toujours les yeux, qui ne devaient donner l'impression d'effleurer le moindre bout de peau.

 

Traumatisme d'enfance et d'adolescence, pourront dire certains. C'est pourtant toujours sombrement amusant de constater comme l'homophobie ordinaire teinte tout : le football adulte, c'est le premier vecteur d'expressions homophobes en France. Écoutez vos stades, vos fans, leurs insultes, leur violence.
Enculés, pédés, tapettes, c'est le florilège constant des aphorismes « mais c'est rien qu'une expression », ou des mots « non mais je le pensais pas vraiment » ; regardez vos joueurs souffrir de ne pouvoir faire de coming out, phénomène assez unique dans le monde sportif qu'il doit être le seul sport dont 41% des joueurs pro et plus de 50% des joueur en centre de formation se disent hostiles aux homosexuels (chiffres 2013) — redressez ces pourcentages avec les données de ceux qui pensent pareil mais n'osent le dire, et on tombe sur une communauté de joueurs à l’ouverture (!) d’esprit unique au monde.

Paris a même tenté une équipe gay de football qui après avoir bataillé des années, a dû jeter l'éponge en 2015 en raison de l’atmosphère ambiante.



Alors non, permettez-moi de ne pas célébrer la grande messe du ballon rond qui me traite moi et mes congénères de la même manière que toutes les autres messes, c'est à dire comme des sous-hommes même pas dignes d'être sélectionnés pour faire partie de l'équipe, exclusion effectuée sous l'air rigolard du Monsieur Mégot local.


Permettez-moi également de rire amer quand vous parlez du football qui rassemblerait au delà des différences de couleur de peau ; parler de tolérance et de rassemblement pour un sport cultivant de manière systématique et virulente le rejet d'une partie de la population sous des prétextes aussi abscons que leur sexualité, voire de leur genre ou d'un handicap, c'est aussi avoir le droit de se faire traiter au mieux de veau dans ma vision catégorique du monde.



Et puis même cette célébration éphémère de la diversité est à mon sens malsaine, mais j'en parlerai sans doute un autre jour. Là, je ne peux pas, je me renseigne sur la grande joie générale qui a parcouru sans que je ne m'en rende compte la France, tel un nuage atomique de bonheur, l'année dernière : tu sais, l'année durant laquelle la France a gagné la coupe du monde de ... Foot Fauteuil, ce qui n'a pas fait lever un sourcil de la grande communauté de l'homme hétérosexuel valide, pourtant d'après vous liée dans l'esprit bon enfant de la glorification de son sport fétiche.
Nuage qui devrait revenir l'année prochaine, quand la France organisera la coupe du monde de… football féminin, que vous suivrez tous avec l'attention et le respect dus à ce sport et dont vous me requinquer les oreilles, je n'en doute pas. Faudrait savoir, c'est le foot que vous aimez, où le foot entre vous ?


Enfin bon, des handicapés et des estropiés qui jouent à la baballe ? Et pourquoi pas des tantouzes ou des gonzesses tant qu'on y est ? Rien à foot !