Lomig

October 3, 2022

Une rupture unilatérale

Cher Twitter,

Je crois que c'est la fin. Je ne sais quoi trop te dire, je t'ai été fidèle, aimant, mais ça ne semble pas suffire. Ainsi tu as trouvé bon de clore définitivement notre relation, sans même venir me voir et me caresser la joue dans un dernier moment de tendresse triste, pour l'honneur de ce qu'on a vécu — non. Un mail, froid, implacable : j'aurais contrevenu à ta fameuse charte ET à la législation française pour avoir eu une conduite haineuse.

Twitter, tout est faux. Tu le sais, je le sais, les gens qui ont signalé le tweet le savent. Mais ce n'est pas grave, n'est-ce pas ? Après tout, le mal est fait. « Diffamez, diffamez, il en restera toujours quelque chose. »

Allez, Twitter, on se dit tout ? Moi aussi je trouve qu'il y a beaucoup trop de conduite haineuse autour de tes hanches. Voila, c'est dit. Treize années que j'en ris (jaune), treize années que je construis avec ceux qui ont eu la délicatesse, la folie, la bêtise de voir en moi plus que ce qui frappe le regard au premier coup d'œil une communauté de gens avec qui on peut la pointer du doigt.

Dans le monde, en ton sein. Sans que tu ne fasses rien. Les propos antisémites relayés par des milliers de personnes, ça n'est jamais une conduite haineuse. Tu regardes ailleurs quand sont partagées et repartagées avec un appétit goulu et des commentaires appréciateurs des vidéos sur lesquelles des homosexuels se font briser les côtes à coup de pied.

Mais ne suis-je pas le premier partisan de l'expression libre, tant qu'elle ne prend pas à partie une caractéristique primaire d'un individu, tant qu'il n'y a pas une volonté directe de faire souffrir ? J'acceptais donc ce côté sombre que tu présentais, Ô, mon Twitter, parce qu'à côté de cela, il y avait la lumière.

La lumière des liens que j'ai tissés et qui glissent aisément de la camaraderie polie à l'amour sincère. Sais-tu que j'ai rencontré mon conjoint grâce à toi ? Réalises-tu que ma meilleure amie, mon âme jumelle presque, n'est dans ma vie que par ton existence ?

Non, Twitter, je ne suis pas un mauvais bougre. Acerbe, brusque, peu attentif aux émotions, oui. Voyant le monde par des yeux qui, et ceux qui m'ont accompagné dans cette aventure ne peuvent que l'affirmer, voient rarement les événements qui se déroulent dans le même spectre que le reste de mes congénères, certainement.

Ces accusations de racisme, de sexisme, de grossophobie, de transphobie de ce week-end, c'était compliqué. Parce que c'était faux, d'abord. Parce que c'était répété ensuite. Ma dernière tribune populaire que je t'ai livrée mentionnait ces tweets — les gens m'ont dit de faire abstraction, et qu'ils me soutenaient. Voire certains ne voulaient pas y croire : des menaces, pour un lave-vaisselle ? Mais le seul soutien dont j'avais besoin, c'était du tien. Il a fait cruellement défaut.

Si encore mes agresseurs avaient du courage, ça leur ferait au moins une qualité à discerner dans leurs cernes fatiguées, se regardant dans leur miroir. Mais non. Une capture d'écran mondaine de moi parlant d'un appareil électro-ménager, un appel à me boycotter parce que je suis tous ces trucs phobes et pire encore, des milliers de likes et de partages, des dizaines de commentaires de la forme « oh, je savais pas, j'enlève mes likes et mon partage de suite ! » sans aucune autre forme… Tweet qui sera supprimé quelques heures plus tard, ni vu, ni connu, le mal est fait.

Et ensuite, tu me demanderas, Twitter ? Avec une perversité malsaine, connaissant ton manque flagrant d'intelligence, des signalements. Partout. Sur des trucs ridicules, des trucs hors contexte, des trucs ironiques, des trucs sarcastiques… On fait feu de tout bois.

Combien de fois j'ai décrié cette fausse bienveillance affichée, cette sainteté moderne, cette morale et cet égo qui cachent l'âme la plus dégoulinante de cruauté et de méchanceté, laissant ces individus déchaîner leurs instants les plus bas contre l'ennemi désigné : on a le droit à tout, quand c'est pour le Bien. Il fallait bien que cela arrive.

Ce qui m'embête le plus, vois-tu, c'est que tu ne me laisses même pas dire au revoir à ces gens qui ont compté pour moi. Tu es tellement un acquis dans la vie que je n'ai même pas échangé un numéro de téléphone avec certaines personnes que j'ai pourtant croisées dans la vraie vie autour d'un verre ! Alors voila. J'aimerais leur dire au revoir. M'excuser aussi — partir sans prévenir, c'est très impoli. Les remercier enfin : la réputation sulfureuse que je porte suffit pour qu'on vous juge problématique si jamais vous aviez l'audace de me suivre, sans compter me défendre.

Je voulais faire une liste des gens qui sont devenus, dans mon cerveau malade, des amis quoique eux puissent penser de cette relation humaine de leur côté. Par peur d'oublier et d'être injuste, je ne le ferai pas. Si jamais des gens se posent la question de savoir si elles étaient dans cette liste, c'est sûrement le cas. Ne pas les nommer, c'est aussi m'épargner la peine de voir dans le regard gêné de l'autre que le sentiment n'est pas réciproque — tu vois Twitter, moi aussi je suis lâche.

Alors bien sûr, il y a la contestation de la décision. Disons que je ne vais pas me raccrocher à cet espoir stupide, tu veux bien ? De moi, des autres, tu n'en as rien à foutre. On aura beau me dire que tu es de droit privé et que tu n'es pas soumis aux règles concernant la liberté d'expression, je n'ai pas contrevenu à tes chartes, et c'est juste que ce serait l'enfer de le faire reconnaître. Tu pourras me dire que « c'est la communauté qui décide ce qui est approprié ou non », et je rirai avec cynisme. Tu m'as mis à la porte alors que j'avais 10 milliers de gens ayant délibérément cliqué pour suivre ce que je pouvais bien dire ; a-t-on le même ratio de gens ayant pu trouver inapproprié quelque chose qui en aucune façon ne déroge à la décence ?

Alors voila, Twitter. Ce sont les derniers mots. Ce courrier n'est pas mon meilleur, parce que le temps comme la tête n'y sont pas — même ça tu me l'auras volé. Si des gens veulent continuer de me parler ou me lire ?
Je dirais bien Discord (Lomig#7640) Battle.net (Lomig#2323) ou Steam (Lomig / Dunwael), mais j'y suis peu.

Je savoure l'ironie : ce blog n'a pas de section pour les commentaires, que j'ai trouvée inutile puisque tu existais.

Au revoir, Twitter.

Je te laisserai le soin de le repartager à l'envie cette missive auprès de tes captifs. Ça serait une dernier ironie encore, que plus de monde repartagentn likent et lisent cette lettre que de gens ayant suffit à te décider de me laisser sur le bord de l'autoroute.

(Enfin, je ne trompe pas grand monde, c'est bien trop long pour être lu.)

Accorde-moi quand même le droit de me sentir endeuillé : on pleure toujours à mesure qu'on a aimé.