14 Août 2025
Loin du bouillonnement de l’actualité et de l’effarement exaspéré qui tourmente aujourd’hui les Français juifs , j’ai eu la chance de côtoyer pendant ces vacances le monde de la ruralité protestante française, un monde de fidélité, résilience et solidarité que j’avais appris à connaitre et admirer pendant mon activité au Comité français pour Yad Vashem il y a -déjà!- une génération……
Les réseaux d’aide protestants, souvent associés à d’autres filières confessionnelles, ont joué dans la survie des Juifs en France pendant la guerre un rôle qui dépassait très largement la proportion du protestantisme dans la société: en 1939, il y avait environ 700 000 protestants dans notre pays, un peu plus du double de la population juive.
Le Chambon sur Lignon, village cévenol à forte majorité protestante, est à juste titre l’exemple universellement connu de ces sauvetages, seul village français à avoir obtenu la médaille des Justes. Mais dans d’autres villages aussi des Juifs ont été cachés dans une sorte de consensus silencieux d’une grande partie de la population.
Dieulefit, dans le sud de la Drôme, était un village d’un peu plus de deux mille habitants, les deux tiers protestants, une station climatique reconnue qui bénéficiait de nombreuses disponibilités hôtelières. Dès les premières années de la guerre, des réfugiés y arrivent qui vont presque doubler la population locale, venus d’Espagne après la guerre civile, d’Alsace et de Moselle après la défaite, mais aussi intellectuels et artistes fuyant le nazisme.
Pierre Emmanuel, poète et résistant, plus tard académicien, qui fut l’un d’entre eux, a écrit sur Dieulefit des lignes magnifiques:
«À Dieulefit, nul n’est étranger. Celui qui va débarquer tout à l’heure, affamé, poursuivi peut-être, et qui vit dans la terreur des regards braqués sur lui, qu’il se rassure, la paix va enfin l’accueillir. Il se trouvera parmi les siens, chez lui, car il est le prochain, pour qui toujours la table est mise.»
On estime entre 1200 et 1500 le nombre de Juifs cachés à Dieulefit pendant la guerre. Ce fut l’une des rares communes françaises à n’avoir connu aucune déportation de Juifs pendant l’Occupation.
Neuf habitants de la commune ont été reconnus comme « Justes parmi les Nations ». Parmi eux un couple d’agriculteurs protestants, les Abel, et d’instituteurs catholiques, les Arcens. Henri Morin était propriétaire d’une usine textile. L’admirable Jeanne Barnier, secrétaire de mairie, fabriquait et délivrait de faux papiers d’identité, des extraits de naissance ou des cartes d’alimentation. Et puis les trois responsables protestantes de l’école de Beauvallon ouverte depuis une dizaine d’années dans le village et fondée sur une pédagogie nouvelle, sensible à l’enfance en difficulté , Simone Monnier, Catherine Kraft et la créatrice, Marguerite Soubeyran. Celle-ci n’hésita pas à se précipiter à Lyon à la recherche de quatre de ses pensionnaires raflés dans une ferme et parvint à les ramener avant qu’ils ne soient livrés à la Gestapo.
Le maire de Dieulefit lui-même, un colonel protestant nommé par Vichy, ferma les yeux sur les agissements de sa secrétaire et sur la soudaine augmentation du nombre des écoliers.
Il y avait chez ces Justes une détermination sans concession que je pense avoir retrouvée chez un fidèle rencontré au temple de Dieulefit.
Cette force de caractère, on la voit à l’oeuvre dans les panneaux du Musée du protestantisme dauphinois, niché dans le magnifique village médiéval de Poët Laval.
On ne mesure pas, quand on n’est pas protestant, les cataclysmes humains qu’a provoqués la honteuse révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685, qui contraignait les protestants à abjurer.
Malgré l’interdiction d’émigrer, 150 000 à 200 000 d’entre eux parvinrent à quitter la France en suivant, pour ceux qui vivaient dans le sud du pays, le «chemin des huguenots» qui partant de la Drôme arrivait en Suisse puis de là aux Provinces Unies, aux Etats germaniques ou à l’Angleterre. . Beaucoup de leurs descendants joueront un grand rôle dans le développement de leurs pays d’accueil.
Parmi ceux qui resteront en France, la majorité, une partie continuera pendant un siècle, jusqu’à l’Edit de tolérance de Louis XVI, de pratiquer en secret la religion réformée malgré les risques, les pendaisons, les galères ou l’emprisonnement à vie. C’est l’«Eglise du Désert», celle des grottes ou des forêts, pratiquée dans la clandestinité dans les Cévennes, le Vivarais, le Languedoc, le Dauphiné ou le Poitou…..
Impossible de ne pas penser aux Juifs d’Espagne ou du Portugal, ceux de la grande émigration sépharade ou ceux qui ont continué de judaïser en secret, les marranes, les porcs, comme on les appelait par mépris.
Si nul Juif ne peut rester insensible à cette similitude de destin, il y a une autre analogie qui est profondément ressentie par les protestants, celle de leur foi avec celle du peuple de la Bible: une histoire qu’ils connaissent pour l’avoir lue depuis leur enfance et qui forme le socle de leur fidélité religieuse.
Sensible à ce passé, je n’ai donc pas été surpris quand le pasteur à la retraite qui présente le Musée de Poët Laval m’a parlé de sa propre histoire familiale, celle de sa mère et des enfants juifs qu’elle avait sauvés au cours de la guerre. Ce fut un moment de partage et d’émotion…..
Il y a des antisémites en France. Il y en a malheureusement plus qu’il n’y en a eu ces dernières années….
Il est, aujourd’hui encore, absurde, débile et malveillant d’accuser la France d’être un pays antisémite...
Richard PRASQUIER