Richard Prasquier

February 20, 2025

Le Pape François, les tensions avec Israël et le dialogue avec l’Islam

Chronique Radio J. 20 février 2025


Ayant eu la chance cette semaine de m’immerger quelques heures  dans ce merveilleux  lieu de fraternité qu’est le monastère d’Abu Gosh et de parler des relations judeo catholiques devant une loge Bnei Brit de Tel Aviv, j’ai été, comme chacun,  frappé par une double réalité.
Jamais les relations entre Juifs et catholiques n’ont été plus apaisées qu’aujourd’hui. Nous approchons des soixante ans de la Déclaration Nostra Aetate qui dans la quatrième et dernière session du concile Vatican II, a posé, malgré beaucoup d’obstacles  et au prix de certaines litotes,  les bases d’un nouveau dialogue.
Fruit d’un long travail de rapprochement, ce dialogue s’est approfondi et la méfiance s’est peu à peu dissipée, même si elle n’a pas disparu de partout. A nous de condamner sans réserve, comme l’ont fait les deux grands rabbins d’Israel, les misérables épisodes de crachats et d’insultes à l’égard des chrétiens dans les ruelles de la vieille ville de Jérusalem, dont les auteurs, haredim ou pas, ne sont que des fanatiques décérébrés.
Inversement,  depuis une trentaine d’années que des liens diplomatiques ont été établis, jamais les relations entre Israël et le Vatican n’ont été aussi médiocres.
Leur état est  symbolisé par une photo du Pape assis près d’un petit Jésus allongé sur un keffieh. Cela se passait le 7 décembre 2024 dans la grande salle Paul VI du Vatican lors de l’inauguration d’une crèche dont la conception avait été attribuée à des artistes de Bethléem. Devant les protestations, mais seulement quelques jours plus tard, le keffieh fut retiré alors que les organisateurs avaient prétendu sans convaincre qu’il avait été déposé par surprise.Le mal était fait: le Pape, ou certains milieux du Vatican, avaient laissé s’insinuer un narratif bien connu, mensonger et toxique, celui d’un Jésus dont l’assassinat par les Juifs préfigurait l’assassinat des enfants palestiniens par la soldatesque Israélienne. 

Quelques jours auparavant, on avait appris que, dans un livre d’entretiens à paraitre, le Pape évoquait le terme de génocide pour les bombardements de Gaza. Il ne prenait pas position et laissait les experts en décider, alors qu’il  savait quelle était l’ignominie  de la calomnie, lui dont ses amis juifs argentins avaient dit dans le passé qu’il ressentait l’horreur de la Shoah comme s’il était  Juif.

Il n’avait jamais utilisé le terme de génocide pour les Rohingyas, les Yezidis et moins encore pour les Ouïgours, car il convient de ménager la Chine avec laquelle de délicates négociations de l’Eglise sont en cours dans lesquelles se joue le sort des chrétiens chinois.

Quelques jours plus tard, le 21 décembre, le Pape François enfonce le clou, en s’indignant, dès les premiers mots de son discours de Noel à la Curie romaine, de la mort d’enfants gazaouis sous un bombardement israélien . Il ajoute : «c’est de la cruauté, ce n’est pas la guerre» comme si ces enfants avaient été spécifiquement ciblés. C’est bien le Jésus au keffieh qui remonte à la mémoire. 

Certains ont évidemment parlé d’antisémitisme, mais dans sa belle lettre de protestation, ferme et mesurée, le ministre israélien Amichai Chikli a évité  à juste titre cette facilité de langage. L’ancien cardinal Bergoglio, qui  a déclaré qu'un chrétien ne peut pas être antisémite, maintenait  des relations chaleureuses avec la communauté juive argentine, ce que j’ai pu vérifier moi-même en participant avec leurs représentants à une audience au Vatican. Il a écrit un livre avec le respecté rabbin massorti argentin Abraham Skorka et a ouvert en 2020 aux chercheurs qui le réclamaient jusque-là sans succès,  les archives du pontificat de Pie XII. 

D’autres accusent le Pape d’être un représentant de la culture woke.  La réponse ne va pas de soi.   Cet homme, dont l’humilité est une règle de vie en témoignage pour le Christ qui s’est humilié pour sauver l’humanité, n’est pas un bisounours, mais un dirigeant religieux autoritaire et tenace. C’est pour cette fermeté, et sur la recommandation de l’archevêque de Buenos Aires de l’époque, qu’il avait été choisi par Jean Paul II pour devenir évêque auxiliaire, alors qu’il était désavoué par une partie des Jésuites argentins en raison de sa sévérité. Il avait été, malgré sa jeunesse, le provincial des Jésuites à l’époque la plus sombre de la dictature et avait manifesté une grande intransigeance contre les Jésuites qui, motivés par la misère sociale qu’ils côtoyaient dans les bidonvilles, s’étaient laissés tenter par une théologie de la libération à laquelle l’ex-cardinal Wojtyla était particulièrement hostile du fait de son passé en Pologne communiste…

 C’est ainsi que Jorge Bergoglio, jésuite marginalisé, devint évêque, cardinal  puis Pape sans choisir le prénom d’Ignace mais celui de François. Car s’il a combattu la théologie de la libération car elle menait au marxisme athée, il a été un disciple d’une théologie du peuple, qui, contre les élites et les porteurs de pouvoir donnait la primauté aux victimes, aux pauvres et aux déshérités, ceux que le péronisme avait appelés les «descamisados». Ce  qui sépare  aujourd’hui le Pape François de ceux des partisans  de la théologie de la libération qui ont plongé dans la lutte armée anti-capitaliste, c’est son absolu pacifisme..

Dans l’encyclique Fratelli tutti de 2020, qui sera un des marqueurs de son pontificat, il a fini par rejeter la notion de guerre juste, formalisée depuis Thomas d’Aquin, pour prôner une fraternité universelle qui s’étend des plus démunis (tels les réfugiés) à la planète elle-même en danger de destruction. C’est sur cette base qu’il a condamné l’action d’Israel à Gaza, non sans avoir condamné auparavant les actions terroristes du Hamas. Dans le monde impitoyable tel qu’il est, certains chrétiens considèrent que cette position fait la part trop belle aux incitateurs à la violence et à la haine, et préfèrent les positions de Winston Churchill à celles du Pape François.
Le Pape a particulièrement tenté de se rapprocher de l’Islam et a pris plusieurs  initiatives spectaculaires avec des dignitaires musulmans, comme le grand imam de’ la mosquée Al-Azhar en 2019 et celui de la mosquée deJakarta en septembre 2024. Parmi les cardinaux qu’il a nommés en décembre 2024, figurent Mgr Vesco, archevêque d’Alger et Mgr Mathieu, archevêque de Téhéran. Chacun dirige, en pays d’Islam une communauté chrétienne minuscule soumise à de considérables restrictions sur lesquelles le silence est de mise.

Pour le Pape François, la réconciliation judéo-catholique est un acquis du passé et l’urgence est un accord avec l’Islam. L’exemple historique de la visite surprise de François d’Assise rencontrant  à Damiette un sultan ayyoubide assiégé par les Croisés et sortant de l’entretien, dit-)on, avec une demande de bénédiction de la part de ce dernier, est certainement présente dans l’esprit de son Pape éponyme.

Mais alors que François engage l’Eglise catholique, ses interlocuteurs musulmans n’engagent pas l’Islam en tant que tel. Aujourd’hui, alors qu’une grande partie des milliers de chrétiens annuellement assassinés dans le monde en raison de leur religion le sont par des islamistes radicaux, il n’y a eu aucune condamnation explicite par le Pape  François: il connait d’ailleurs  les accusations d’islamophobie qui se sont déchainées sur Benoit XVI quand celui-ci a effleuré le sujet.
Il considère d’ailleurs que les religions ont intrinsèquement une valeur pacificatrice et refuse de leur attribuer  une responsabilité quelconque dans les différents conflits qui ensanglantent  l’humanité. 
Le Pape François est aujourd’hui en réanimation respiratoire et ses jours sont en danger. Il se trouve que l’un de ses derniers interlocuteurs a été  le recteur de la Grande Mosquée de Paris qui, saluant son ouverture vers l’Islam, lui a proposé  une grande réunion à Paris de fraternité inter-religieuse (entendre islamo-chrétienne)  que le Pape aurait acceptée. 
Les Juifs n’auront probablement pas part à cette réunion, et c’est tant mieux, car elle servirait surtout à redorer le blason d’un Recteur qui s’est distingué par son silence au sujet du 7 octobre,  par sa perméabilité aux thèses de Mme Rima Hassan et par son obéissance envers un régime algérien qui, entre autres, interdit aux musulmans sous peine d’emprisonnement la conversion. au christianisme 

Ce curieux exemple de liberté religieuse manifeste l’idée que l’Islam étant venu parfaire une vérité dont les religions monothéistes précédentes  n’avaient eu que des intuitions qu’elles avaient mal interprétées ou trahies, l’idée de conversion est impensable.
Je ne crois pas que ce soit par la dhimmitude que seront résolus les malheurs du monde. Ce risque est la part aveugle du pontificat du Pape François, dont l’aspiration admirable à la paix se heurte à la volonté de puissance de beaucoup de ses interlocuteurs. Ce sont pourtant des théologiens chrétiens qui ont écrit que l’enfer était pavé de bonnes intentions…….