Chronique Radio J. 30 Mars 2023
Entre la France et Israël qui se partagent la une mondiale des manifestations, la différence majeure est géopolitique. A l’extrémité Ouest d’une Union européenne pacifique, la France ne court aucun risque quant à son existence et risque peu d’être une cible prioritaire si la guerre en Ukraine dégénère en conflit nucléaire.
Israël fait face à une menace existentielle. L’Iran qui, d’après le directeur de l’AIEA, a déjà enrichi suffisamment d’uranium pour fabriquer plusieurs armes nucléaires, s’insère aujourd’hui dans une alliance avec la Chine et la Russie qui risque de pulvériser les accords d’Abraham. Il améliore ses relations avec les Emirats et surtout vient de signer, sous parrainage chinois, un accord avec l’Arabie Saoudite, son prétendu ennemi irréductible. L’alliance américaine est plus vitale que jamais pour Israël, vient de souligner le Général Zeev Snir, président de la Commission atomique israélienne, et la crise dans le pays fragilise cette alliance.
Une autre différence entre la France et Israël est leur trajectoire économique. Autant un sentiment de déclassement pèse sur la France, autant le dynamisme et l’inventivité d’Israel suscitent l’admiration et parfois la jalousie. Un récent sondage sur le bonheur, qui met Israël à la 4e place dans le monde, révèle une autre facette de son succès. Là encore celui-ci est en danger du fait de la crise.
Une troisième différence tient au public des manifestants. Chez nous, ils forment ce que certains appellent la France d’en-bas. L’Israël qui manifeste serait plutôt, mais pas uniquement, l’Israël d’en haut. Certains opposent un Israel des soi-disant élites gauchistes déjudaïsées et un « vrai peuple » auquel ces élites se permettraient indûment de faire la leçon. Entre Ben Gvir et Mélenchon, qui tous deux dissocient un pays réel d’une élite illégitime, une paradoxale comparaison s’impose.
C’est une maléfique entreprise que d’approfondir la césure en Israël entre sépharades et ashkenazes, entre religieux et non religieux, alors que la seule césure qui compte devrait être entre ceux qui sont prêts à défendre leur pays et les autres.
La réforme des retraites en France et celle des institutions judiciaires en Israël ont en commun de ressembler à un bras de fer portant sur des points secondaires. Pendant des années, Benjamin Netanyahu n’a pas critiqué la Cour Suprême et chacun sait que la loi sur les retraites impactera très peu l’endettement abyssal de la France. Ces projets ont pourtant fracturé les deux pays.
En Israël, les partisans des réformes ont des arguments à faire valoir. Oui, la Cour Suprême et le Procureur général ont depuis 30 ans considérablement étendu leur périmètre d’intervention et leur autonomie décisionnelle. Oui, la Cour utilise parfois des critères juridiquement flous comme celui de « caractère raisonnable » et abuse probablement de l’entre-soi lors de ses renouvellements qu’elle garde sous son propre contrôle.
Mais il reste à démontrer qu’un seul de ses jugements ait gravement affaibli le fonctionnement de l’Etat. De fait, ce que n’ont pas oublié ses détracteurs est qu’elle n’a pas protégé les droits des citoyens israéliens expulsés après la décision de Sharon d’évacuer la bande de Gaza.. Mais sa réputation de gauchisme est surfaite: systématiquement saisie lors des destructions des maisons des terroristes, la Cour n’en a jamais mis en cause le principe, hérité du Mandat britannique.
Israël est ce pays qui a des lois dites fondamentales, dont la signification est discutée, mais n’a pas de Constitution car Ben Gourion, pour ne pas entrer en conflit avec ses alliés religieux, a fait changer le nom d’Assemblée constituante en celui plus neutre de Knesset. Aujourd’hui, le consensus nécessaire à la rédaction d’une constitution risque d’être encore plus problématique qu’en 1950.
Israël n’a qu’une seule assemblée législative à laquelle appartiennent les ministres, sans Cour de Justice pour juger le personnel politique, sans Cour de Cassation et sans Conseil d’Etat. La Cour Suprême fait fonction de seul contre-pouvoir au Premier Ministre, maitre de l’exécutif, du législatif et, comme chef de parti, maître des carrières politiques de ses partisans, dans ce pays qui n’est qu’une seule circonscription électorale, avec des listes de candidats hiérarchisées, ce qui entraine des rapports de dépendance.
La Cour a su prospérer, et beaucoup de juristes appellent à des modifications de son fonctionnement. Mais dire que la majorité à la Knesset détient seule la vérité démocratique parce qu’elle représente la majorité du pays est un double contre-sens. D’une part parce qu’une majorité de coalition ne signifie pas que la majorité de la population soit acquise aux exigences des composantes les plus radicales de cette coalition, d’autre part parce que rien n’empêcherait dans le projet proposé, aujourd’hui mis en veilleuse mais non abrogé, que 61 députés, parce qu’ils ont peur de faire tomber le gouvernement, votent, même s’ils les réprouvent à titre personnel, des lois contraires à l’égalité entre les citoyens, entre les hommes et les femmes, entre les Juifs et les non-Juifs, entre les orthodoxes et les non-orthodoxes, entre les auteurs de certains délits et les auteurs d’autres délits, pour ne citer que quelques exemples…..
Les manifestants Israéliens forcent le respect en ayant évité tout débordement dans des rassemblements dont le caractère spontané, massif, bon enfant mais déterminé témoigne de leur attachement aux principes démocratiques, qui, au-dessus d’une coalition de rencontre, sont fort bien résumés dans la déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israel, cet Etat dont on fêtera dans moins d’un mois le 75e anniversaire….