Le décès de Joseph Nye, y a deux semaines, est passé inaperçu dans notre pays. Il était considéré aux Etats Unis
comme l’un des plus influents politistes de son temps. Il avait théorisé le concept de «soft power», suivant lequel dans le monde moderne la puissance militaire n’était pas tout, car la puissance américaine reposait aussi sur l’attraction qu’exerçaient dans le monde son cinéma, sa musique, ses universités, ses promesses informatiques et ses valeurs démocratiques. Son livre publié en 1990 ouvrait une décennie d’illusions enchantées, celle de la libération des pays sous tutelle communiste, celle des espoirs de paix au Proche Orient, celle de la fin de l’histoire sous couvert de la toute puissance américaine et son modèle apparemment irrésistible de démocratie libérale.
Nous avons beaucoup déchanté…
C’est au Qatar qu’est aujourd’hui l’adresse du soft power islamiste, ce pays minuscule et richissime qui a su attirer chez lui une coupe du monde aberrante sur le plan éthique et écologique, ce sponsor bienveillant et intéressé de clubs sportifs, de leaders d’opinion, d’agences d’information, d’universités occidentales prestigieuses ou de politiciens parmi lesquels se détache aujourd’hui un Président des Etats Unis en personne. Ce pays finance aussi d’innombrables petites mains venant porter sur les campus, les mosquées et les réseaux sociaux la parole des Frères Musulmans, dont le Hamas est aujourd’hui un brillant représentant et dont l’imam Qaradawi, en résidence à Doha et récemment décédé, se distinguait par sa violence antisémite tout en étant largement présenté comme un apôtre du «Vivre ensemble».
A l’époque des réseaux sociaux, de l’information instantanée et de la post-vérité, le soft power, c’est avant tout la maitrise du discours. La bataille que mène Israël contre le Hamas est très difficile. Nous espérons qu’il va la gagner et que ce faisant, il va sauver les otages. Mais la guerre des mots qui double cette guerre des armes, la guerre du soft power, Israël semble l’avoir perdue et rarement cette défaite a été aussi patente que ces dernières semaines.
La défaite verbale la plus grave, concerne le mot génocide. Quand, en décembre 2023, l’Afrique du Sud lança à la Cour internationale de Justice une requête prétendant qu’Israël commettait un génocide, cette accusation paraissait grotesque. On a d’ailleurs appris plus tard, par des travaux d’instituts de recherche, que l’Afrique du Sud alors en débâcle économique, avait reçu des aides financières avant le dépôt de sa plainte, qui aurait été coordonnée avec l’Iran et le Qatar. La caractéristique d’intentionnalité, indispensable à la notion juridique de génocide , ne reposait que sur deux ou trois déclarations de responsables israéliens, parmi lesquels le Président Herzog, un modéré peu suspect de nourrir des intentions exterminatrices, des déclarations banales prononcées sous le coup de l’émotion suscitée par les atrocités du 7 octobre.
Mais les juges de la CIJ, nommés en fonctions d’équilibres politiques internationaux identiques à ceux de l’ONU, ne voulaient pas paraitre se désintéresser des Gazaouis bombardés. Ils ont préféré ne pas rejeter la requête, et ont différé leur jugement à plus tard, en assortissant leur décision de préconisations à Israël pour ne pas rendre plus plausible l’accusation, en particulier de laisser passer une aide alimentaire.
Ce fut fait, mais comme la CIJ n’avait pas explicitement rejeté l’accusation de génocide, celle-ci a pu prospérer et s’est indûment parée de l’autorité de cette instance internationale de référence. Ceux qui ont été au Rwanda savent ce qu’est un génocide Mais accuser Israël de génocide, c’est aussi retirer aux Juifs le bénéfice moral d’avoir été les victimes de la Shoah. Le génocidé génocideur, l’image semble titiller certaines consciences….
Le langage, a écrit Bourdieu, est un champ de luttes et les mots y sont investis d’un capital symbolique. Même si rien, en dehors de quelques remarques particulièrement débiles et répugnantes de quelques députés de la coalition au pouvoir en Israël, ne vient étayer une volonté de génocide, le mot a fini par se banaliser à l’égard d’Israel. Goebbels avait dit qu’un mensonge suffisamment répété devient une vérité. Israël, est désormais accusé de génocide comme si c’était une évidence et le journaliste Gilles Bouleau qui interroge Emmanuel Macron en est tellement convaincu qu’il s’étonne que celui-ci laisse la réponse aux historiens….
Et pourtant, il s’agit d’un mensonge particulièrement éhonté ……
Une autre défaite majeure concerne l’accusation d’affamer les Gazaouis. Le spectre d’une famine imminente a été lancé à l’ONU dès les premières semaines de la guerre, notamment par le secrétaire général António Guterres. Toute association humanitaire qui aurait apporté des nuances aurait été qualifiée de sioniste, un terme déshonorant qui interdit de faire carrière à l’ONU.
Il y a vingt ans, Agnès Calamard postait un tweet prétendant que Shimon Peres avait reconnu que Israël avait assassiné Arafat. Dans son interview au New York Times, le Président israélien avait dit exactement le contraire. Cette diffamation n’a pas empêché la jeune femme de devenir Secrétaire Générale de Amnesty International, avec l’objectivité qu’on imagine…..
Il y a une semaine, Tom Fletcher, sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, déclare à la BBC que 14 000 bébés vont mourir dans les 48h si l’ONU ne leur apporte pas le lait dont ils ont besoin. Le rapport sur lequel il s’appuyait faisait état d’un risque de dénutrition mortelle au bout d’un an si la situation alimentaire continuait. Un an, c’est trop long, 48h, cela imprime plus les esprits.
Il en est de même des photos d’une petite fille turque mourant de faim et d’un enfant palestinien décharné atteint de mucoviscidose circulant comme preuves de la dénutrition à Gaza. C’est probablement ce que à l’époque de l’enfant al-Durra, l’inénarrable Charles Enderlin appelait la vérité du contexte, c’est à dire en clair, un mensonge avec de bonnes intentions…
Les services israéliens spécialisés mettent en place un nouveau système de distribution alimentaire qui exclut à peu près les services de l’ONU qui ,évidemment, le vitupèrent d’avance. Mais les tares de l’ancien système étaient patentes, les cargaisons étant souvent accaparées soit par le Hamas soit par des gangs locaux et revendues à des prix exorbitants ou simplement stockées . Les quantités alimentaires qu’Israel a laissé entrer jusqu’au 2 mars représentaient environ 1800 tonnes par jour, c’est à dire suffisamment de calories pour éviter la famine de la population de Gaza, d’autant que la fourniture de produits précuits permet de surmonter le problème des manques de combustible. Il s’agit d’aliments non diversifiés, céréales, légumineuses et huile, mais la situation est incomparable avec celle qui existe au Soudan et qui ne mobilise aucunement le monde . No Jews, no news…..
Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y a pas eu de cas de détresse alimentaire depuis que le blocus avait été établi, que la situation des Gazaouis n’est pas globalement dramatique et que tous les services israéliens ont mis un enthousiasme débordant à véhiculer l’aide alimentaire. C’est la guerre…Les images des cérémonies de remise des otages ne montrent cependant pas de participants ressemblant aux prisonniers de Buchenwald et le Hamas, qui a une responsabilité majeure dans les difficultés de distribution alimentaire, n’aurait pas manqué de les diffuser si de telles images existaient.
ll y a encore en Israël de rares appels à continuer à refuser l’aide alimentaire à Gaza tant que les otages ne sont pas rendus, alors que la période de blocus, si elle était prolongée, pourrait entraîner une situation vraiment catastrophique, mais Smotrich lui-même a salué le lancement de cette aide. En tout cas, sur la durée du conflit, on n’a pas le droit de dire qu’Israel a affamé la population de Gaza.
Mais la manipulation narrative, élément clé du soft power, est une arme de guerre redoutable contre laquelle Israël, au long de ces cinquante dernières années, n’a pas su fabriquer de Dôme de Fer efficace…..